Le Roman






Ce roman a vocation à être édité. En attendant, les chapitres seront diffusés au fur et à mesure de l’évolution du Blog. Merci de votre patience.

Résumé

« Suis-je tombée au fond du sac d’Ellen, de Mary, de Pénélope … ou peut-être celui de Natacha ? » 

Betty mollit dans la transparence ronronnant du quotidien.
Un jour, elle se voit offrir un nouveau portable, doté d’une application singulière : il permet de voir sans être vu !
Usant d’une forme de nouveau pouvoir, Betty se perd dans un entrelacs de situations cocasses et improbables, jusqu’à se lier d’amitié avec une Star de la chanson.
De l’autre côté de la planète, au milieu de la forêt subtropicale, des indigènes trouvent un objet curieux duquel émane une image holographique : une femme aux traits verts, se révèle à eux, jour après jour. Un culte commence. Bientôt, son essence divine se répand au delà des frontières.

Cette femme n’est autre que Betty. Les rôles s’inversent.
C’est elle qui va devenir une Star.
Une Star Universelle.









*********************************************************




Prologue      










































Je suis née à 7h01 précises, un matin de novembre, sur les lèvres teintées de caféine d’un journaliste probablement mal rasé. L’édito du matin tourne en boucle avec la rigueur disciplinée d’une terre autour de son axe. On vient de me mettre au monde aux forceps médiatiques entre la nouvelle présidente des Etats Unis et la Popstar Madonna.

Je m’appelle Betty Aarcher.
J’ai 38 ans.
Quelques obligations.
Une apparence calcifiée par le temps.
De temps à autre, j’habite une boule de verre dans laquelle la neige vient me distraire. Je suis ce qu’on appelle dévouée à mon mari et à mes trois enfants. Rien ne peut mieux me définir que mon sacerdoce discret envers mes proches. Pourtant, mon histoire vient de faire le buzz avec 52 millions de pages sur Internet …

Il est vrai que j’ai que été la seule à braver l’apesanteur et qu’au terme de cette exquise faculté, je me suis inversée peu à peu dans les contours d’une autre personne.

 Et divine, je suis devenue.









Tout commence à la fin de l'été...quelque part dans les Alpes du Sud, France

- Maman, je vais vomir.
- Regarde la route.

Au bout de 20 Km de lacets avalés assez nerveusement, notre laborieuse ascension prend fin sur un plateau de mélèzes, au pied de la façade Nord du Mont Saint-Pierre. Un panneau de bois rongé d’humidité indique le lieu de rendez-vous. Un peu plus loin, un guide nous serre rudement la main. C’est une femme robuste au teint grêlé par le mistral, le menton confusément ébauché dans le quartz de montagne.
-Prêts, les enfants ? dit-elle avant même de me saluer. Rappelez-moi vos noms et vos âges s’il vous plait.
-Cooper Aarcher, 10ans.
-Candice Aarcher, 13 ans. Enchantée.
-Alice, j’ai huit ans et demi tout juste.
-Très bien, dit-elle en m’épargnant le rite sacrificiel de l’âge. Je vous propose ce matin, la randonnée niveau 2, difficulté 3 sur échelle de 10 .
-Ah ?
-Je vous invite à vous engager vers ce petit chemin de berger. Il est préférable de commencer par une ascension plus modeste à l’aller.
J’accepte sans démentir cette sage option selon laquelle je suis assimilée à un des enfants et scrute la ligne horizon avec le sentiment irrité de ne pas y arriver. Je secoue mon chargement pour bien le sentir et jauger toute la responsabilité liée au bruit subtil de caisse à outils qui tinte dans mon dos. Dans l’ordre :
Sandwichs numérotés. Vérifié.
Pansements à cloques. Vérifié
Pompe à venin, instrument de superstition suprême. Vérifié.
J’aide mon aînée à refaire ses lacets, en pestant sur celui ou celle qui a omis d’insister sur ce détail majeur de l’autonomie infantile. Elle regagne les autres avec le ressort du cabri. Je me retrouve trente mètres derrière tout le monde, à l’étroit dans l’ourlet improvisé de mon amour propre.
-Ne vous faites pas de soucis ! Chacun son rythme, Madame !
J’admets qu’il est important d’être dernière de cordée, si toute fois quelqu’un faisait tomber son dentier, une Rolex en or ou, plus certainement un papier de bonbon non biodégradable. En conséquences, j’ordonne à mes jambes de s’ouvrir comme une paire de ciseaux, de tailler au plus court, mais très vite les étourdissements me rappellent à l’ordre. Je décide alors de progresser pieusement, avec ce silence nourri de gravité, pareille au pèlerin matinal de retour de prières. J’avance, méritant mon oxygène, louant mon sillon. J’avance et exhorte l’ivresse des hauteurs. Marche de tout mon saoul, en écoutant le silence me souffler à l’oreille qu’il n’est pas la peine aujourd’hui de sortir le petit journal de bord. Mon cerveau, en complète irruption volcanique, projette peu de choses de valeur. Les idées se périment avant même leur révélation au grand air. Il n’y a que l’idéale image du bonheur qui rende l’écriture inutile et cette journée au Mont Saint-Pierre semble appartenir à tout égard au registre de la perfection.
Quelques idées de surface viennent pourtant polluer la pureté de l’air... Comme la rentrée des classes. L’inaliénable liste de courses, la traque de nouveaux pantalons pour ces jambes qui auront pris 5 cm pendant l’été. Et qui donc a appris à Candice à faire ses lacets… ?
Je crois bien que c’est moi. Evidemment, ça ne peut être que moi.
Deux heures plus tard, le retour de promenade est à peine plus facile car nous longeons maintenant un petit torrent à la trajectoire capricieuse. J’ai cette fois le privilège de collecter une kyrielle de cailloux, de tout rang en termes d’intérêt. Il y a les ternes aux jolies formes, les brillants, les anonymes aux arêtes vives, menaçant au travers du sac, le cuir de mon propre dos. Treize ans déjà que je roule ma bosse en éducatrice opérationnelle et en éclaireuse du monde tout terrain. Comprenez bien qu’il n’est pas question d’être pingre en matière de travaux pratiques, fut-ce moi le wagonnet de service.
Cooper joue au ricochet prenant placidement ses sœurs pour cible, elles-mêmes à la recherche de pépites brillantes au fond de l’eau.
-Tu as vu, maman, comme ce galet est joli. Je ne l’avais pas encore dans ma collection.
-Il a une drôle de forme
-Heu… Il est allongé. Retenez ça, on dit qu’il a une forme oblongue, mes enfants, dis-je en grande dispendieuse de vocabulaire nouveau.
-Regardez, je le tiens bien dans la main. Il est plat comme il faut.
-On dirait… intrigue Alice descendue de son pays merveilleux.
-Ouais … dit Candice, ça y ressemble ... tu nous le prêteras, dis ?
-Tu crois qu’on peut peindre dessus ?
-Des touches avec des numéros ? répond le garçon.
-Pour faire comme si on avait un… conclut Alice dans un regard circulaire en serrant sa pépite de silex contre l’oreille, comme si on avait un…TELEPHONE PORTABLE VIEILLE GENERATION ?

Je résume.
2554 m d’altitude, loin de toute canicule invalidante, genre sommet du monde pour citadins en vacances :
Je me suis affranchie de toute compagnie virile, expliquant au père de mes enfants que je pouvais encadrer les brebis, aussi bien qu’un chien de berger en fin d’apprentissage.
Je me suis offert les services d’une guide de haute montagne bardée de macarons sur le béret pour un programme spécial kids, payable 3 mois d’avance.
Droit devant, nous jouissons d’un panorama frisant la haute définition d’une image satellite.
Et encore au-dessus de nous, si l’oxygène le permet, je suis certaine qu’un lama angora est ivre de rire parce que mes enfants s’extasient devant un caillou oblong et vaguement plat.
Ces deux longs mois de vacances d’été, à obéir à une certaine forme primaire de tyrannie infantile, me paraissent soudainement très épuisants. J’ai furieusement hâte de me reposer en poussant les caddies de la rentrée.
-Plus que quelques jours, dis-je au caillou lauréat…Plus que quelques jours.






Quelque part dans la tribu des Byblis, en Papouasie Nouvelle Guinée

Le chef vient de grogner des mots rageurs à l’encontre du jeune papou, Bombyx.
Il lui repproche son choix de silex et la manière maladroite avec laquelle il ligature les lianes de pandanus, si profuses dans cette partie de la forêt équatoriale.
-Arrête de faire le nigaud avec cette corde! Quand la pierre va se débobiner de la hache, tu feras moins le fier ! rabroue le chef Nepenthes.
C’est que ce caillou est roi ici, en cette terre reculée de préhistoire. Un chasseur Byblis a le devoir absolu de maîtriser ce que la nature lui a donné en cadeau. C’est comme cela que la tradition se perpétue. De père en fils, de caillou en hache, de chair en poussière, comme le va-et-vient accompli du jour vers la nuit puis de son contraire.
Et pour Bombyx, la vie a présenté bien vite les couacs d’une horloge besogneuse en devenant prématurément orphelin. Sa mère s’est empoisonnée cul sec avec une bouteille de lotion d’anti-moustique, oubliée par une touriste de passage. Son père, alors fou de douleur, trouva refuge sur la plus haute cime des arbres, apaisé, soi-disant, par la magie luminescente du règne végétal. Il fut tué à son tour par la flèche accidentelle d’un autre chasseur. Le pauvre gars était couvert de plumes et scrutait du haut de sa folie, un signe divin de l’ivresse parfumée de sa défunte. La mort a été qualifiée de « nette » et le signe du ciel « univoque » : le jeune papou deviendrait donc le-fils-de-tout-le-monde, la communauté se sentant morveuse par autant d’acharnement astral, sur une même tête Byblis. On le rebaptisa “Bombyx“, comme le papillon duveteux qui vient tourbillonner auprès des esprits, quand l’air est noir et que le feu bataille pour l’éclaircir.
-Dites, Chef… Pourquoi êtes-vous toujours grognon? C’est comme ça qu’on devient „chef„? En grognant comme nos cochons?
-Arrête donc de poser, sans cesse, toutes ces questions. A force, tu me fais tourner la tête. Je suis grognon parce que je suis réfractaire aux assauts de la modernité. Tout ceci menace la tranquilité du hameau. L’opiniâtreté est notre salut et j’ai peur de faillir.
-Alors continuons à chasser le caillou, Chef… admet Bombyx avec résignation
-La pierre polie reste le seul lien avec notre monde ! profère le père spirituel en grommelant d’autres jurons, les yeux levés au ciel vers d’imaginaires insectes d’acier qu’il mime en tournant sur lui-même.
Un oiseau de paradis effrayé par cette chorégraphie maladroite prend son envol de la branche charnue d’un eucalyptus.
-C’est un signe, ça, vous croyez ?
-Non, c’est ma danse qui n’est pas au point… Allons, garçon ! Rentrons maintenant. Le ciel s’assombrit. Les femmes doivent nous attendre. Ramassons nos besaces et nos flèches avant que la nuit ne se cabre sur nos têtes !
-Oui, Chef !







Quelque part à Sausalito, Californie, Etats Unis...

-Trois cents mille dollars pour une poignée de cailloux fluorescents ? Excuse moi, Ted. Je t’entends mal… Ca ressemble à un caprice de milliardaire désoeuvré ?
-Vingt mille pièces pour la première année. Le double pour l’année suivante si l’opération est un succès, annonce Teddy.
-Ils se sont bien moqués de vous dans les journaux !
-Je pensais que tu ne lisais plus la presse, Mel. Les journaux racontent n’importe quoi et tu es bien placée pour le savoir. L’idée des cailloux vient de notre principal client qui a toujours besoin de publicité pour ses nouveaux marchés.
-Exodus encore ?
-Exodus a souhaité remercier ses fournisseurs en lançant un concours international intitulé « Sculpture à la gloire de la téléphonie portable, défi du 21e siècle ».
-Explique-moi quelle est cette idée farfelue de semer des osselets dans les espaces verts de vos sociétés?
-Un jury éclectique a choisi un jeune artiste belge qui nous a séduit avec son projet. Vingt mille petits galets de la taille d’un ongle de pouce, usinés de dix manières différentes et trempés dans une résine phosphorescente, qui seront répandus régulièrement dans le parc de la maison mère ainsi que chez tous les partenaires de la boîte. Chacun de ces petits cailloux sera gravé avec un numéro faisant de l’objet ramassé une véritable petite œuvre d’art que le promeneur pourra emporter dans ses poches s’il le désire. Il est déjà annoncé que certains numéros de série feront un vrai malheur auprès des fétichistes !
-Je reconnais que ton belge a de l’humour… .
-Mademoiselle Rolyat, c’est à vous dans quelques minutes, beugle un assistant de plateau. Les caméras ont fini le travelling de l’entrée de la propriété et sont prêtes pour la scène sur « la terrasse du jardin, sous le pin parasol ». Comptez encore trente secondes pour que la maquilleuse vous passe du blush sur les pommettes… Je suis désolé de vous presser mais tout le monde est très nerveux.
-J’arrive tout de suite, donnez-moi un instant pour…
Ted pousse un soupir de dépit. A quand remonte leur dernière conversation ininterrompue ?
-Va Chérie. Ne t’inquiète pas pour moiAu fait, je t’ai fait envoyer en colis recommandé, il s’agit de notre dernière création… elle va te plaire.
-Désolée, Ted, je dois y aller. On s’appelle, n’est-ce pas ?
-Oui, on s’appelle.












Partie I








1.1 Fly me to the Moon, Frank Sinatra



Nous sommes le 4 septembre.
Veille de rentrée scolaire, écoutez-moi bien, âmes sensibles…
Je vais m’offrir un mets succulent, rendu bien rare depuis ces dernières vacances. Une bonne émission de ménagère, rien que pour moi, sans prédateur autour. Avec la grâce de Dieu,  je m’épancherai lascive, à mi-hauteur entre ciel et terre dans une fausse culpabilité de complaisance à croquer ce péché de gourmandise ultime. Andrew est attendu à un conseil d’administration et ne rentrera pas avant minuit. Quant à moi, anémiée par deux mois d’abstinence télévisuelle, je suis attendue par mon plateau-repas, fumant de délicates portions individuelles dont j’ai trouvé l’idée même dans le fameux tube cathodique.


Je n’ai pas hésité un instant…
Entre,
un talk show sur Le démon de minuitréalité ou fatalité ?, assez inquiétant avec un mari dévoué au rite du jeton de présence chaque premier lundi du mois.
Et,
Ne faites pas attendre la star Melancoly Rolyat, l’émission de la rentrée sur la BBC One, attendue par toutes les cendrillons comme moi, désireuses de renouer avec la robe de lumière, entichées d’un prince qui s’est une fois de plus rendu absent pour raisons professionnelles.
Ou,
le programme de la chaîne culturelle avec le portrait dit « sensible » d’un papou arboricole tout fripé de la tribu des Koroways chassant le lézard avec un arc de laurier noir. L’équipe de tournage a dû composer subtilement avec la croyance selon laquelle le moindre contact avec la civilisation ferait rouler la forêt comme un ballon rond. A ne pas rater, pour les garçons manqués en col Claudine, nostalgiques de la cabane dans les arbres !
Mais Cendrillon est faible et objectivement désireuse de le rester ce soir, repliée sur son poulet tandoori et ses chaussons râpés. La « Melancoly » emporte ainsi mes faveurs. La star se livrera en apparence à une soirée « confidences sur canapé » et c’est tout ce qu’une fille irritée comme moi par le sens du devoir domestique a besoin d’entendre. A l’unisson de millions de consoeurs asservies à la magie trompeuse de l’image, je finirai en résonance totale lorsque Melancoly se montrera fragile avec des larmes de diamants qui perleront avec talent sur sa joue.
Ainsi tout commence dans l’oeilleton de la caméra. Nous sommes invités à emprunter un pont-levis en acier trempé. Un judicieux travelling avant nous amène, comme prévu, dans le décor carton pâte de conte de fée, vers la forteresse de la Belle.
Nous découvrons une maison de rêve entourée d’un mur infranchissable et truffée de caméras infrarouges comme une prison à l’unique prisonnière, avec du gazon-vert-synthétique ou en synthétique-vert-gazon, on ne nous le précise pas. De petits bichons blancs jouent à se courir les uns derrière les autres. La porte d’entrée s’ouvre au ralenti. Melancoly Rolyat nous accueille avec un large sourire et propose une première étape dans les canapés de jardin pour faire connaissance en douceur. Le scénariste a prévu de nous faire traverser les pièces où le personnel de service en jaune pâle est occupé à remplir les vases de fleurs et les carafes de glaçons, comme au meilleur des séries américaines.
Elle avance et nous apparaît de côté, sûre d’elle, apprêtée par une armée de professionnels postés derrière la ligne de front. La lumière est parfaite sous ce pin parasol pour lequel elle a une tendresse particulière car il lui rappelle son premier disque d’or, anecdote à l’appui.
Elle nous parle, pas à pas, de sa vie au travers des thèmes de ses chansons puis évoque ses difficultés récentes avec ce qu’elle appelle le monde immédiat. La presse. Les paparazzi. Le voyeurisme inconditionnel de la société d’aujourd’hui. Un court silence jette une ombre sur la jeune diva. La sincérité lui va bien. La caméra le sait et se rapproche de son visage. Elle explique la notion de fuite en avant vers la musique, ce bonheur exclusif qui la pousse parfois à se faire si rare à l’écran. Un des chiens commence à aboyer, sans raison apparente. Impossible de recommencer la scène.
-Enfin Elton, calme toi, c’est la télévision. Allez dit « bonjour » aux téléspectateurs, reprend Melancoly dans une attitude puérile qui coupe court à toute investigation existentielle.
-Les prenez-vous parfois pour vos enfants, tous ces petits bichons autour de vous ? récidive l’anglais égaré dans une autre tranchée intimiste.
-Evidemment non, dit-elle en éclatant de rire…Il y a Michael, avec la petite Britney, Beyoncé et la petit là-bas très joyeux, c’est Mika. Du beau monde, n’est-ce pas ? Un couple de chiots m’a été offert par Elton John le jour de mon premier Amy Awards. Depuis la bande s’est agrandie !
-Quelle bien jolie famille, insiste l’abruti, à la renverse entre deux lèches canines.
-Permettez-moi maintenant de vous montrez la pièce que j’affectionne le plus, dit la star en précédant le journaliste vaincu sous la mêlée de bichons..
Elle regarde cette fois la caméra et nous prend par la main en pénétrant dans son bureau qu’elle détaille avec émotion. On y découvre des couvertures de magazine mis sous verre avec grand soin..
-Regardez : ma première rencontre avec Sting… Le baise-main avec l’ancien Président… De ce coté, l’accolade avec la nouvelle Présidente de la maison blanche, déjà une amie… Un polaroid plaqué dans un épais cadre de stuc doré immortalise le jour où Madonna s’est proposée être sa marraine artistique. A quelques pas, elle loue les talents de son fidèle impresario, Oscar de la Volores, bien rond, bien gras, à l’étroit dans le cadre d’argent. Probablement substitutif du père qu’elle a perdu trop jeune, un classique chez les stars.
Arrive la séquence de torture où l’invité du jour se prête au jeu de la vérité avec le petit doigt pincé par deux électrodes. Franchement, je ne cautionne pas cette manière d’empourprer le candidat à chaque fois que la machine tressaute sur les troubles de son arythmie cardiaque. Etre posté devant l’écran ne fait pas de nous de sauvages tortionnaires. Peu importe, elle assure divinement bien et enchaîne les réponses, déjouant les pièges à la manière d’une aspirante espionne. Elle poursuit sa diatribe « Je suis sûrement heureuse mais le bonheur me fuit, je compose ce que je chante mais je ne contrôle pas toujours la distribution commerciale, les gens m’aiment mais je me sens seule… »
Bon, voilà que je baille. Il est temps de laisser les Stars se complaire dans leur inconstance existentielle et de laisser les Cendrillons boîter jusque leur lit afin d’ébrouer des reliquats de romantisme dans un bon ballotin de plumes :
-Bonne nuit, dis-je à l’oreiller sur lequel s’imprimeront mes rêves.







1.2 Don’t Let Me Be Lonely Tonight, Patricia Kaas & James Taylor



La nuit est claire sur le Haut-Sépik.
Le plancher craque mais cela fait partie du confort, se dit Bombyx recroquevillé sur sa couche. La maison des femmes est à côté. Elles ont gloussé ces dernières nuits à l’idée qu’il fasse désormais partie de la maison des hommes. Il faut dire qu’hormis sa beauté naturelle, Bombyx est „différent“ des autres garçons. Depuis la mort de ses parents, ce petit gars-là a trouvé refuge dans un monde qu’il s’est créé tout seul. On ne sait pas ce qu’il y a “dedans“ et on ne cherche pas à savoir, pour pas s’attirer de noises.
Lui, il préfère poser son attention sur l’écureuil volant qui piaille au loin. Parfois le matin, on en surprend un sur la paillasse qui a trouvé refuge. Avec un peu d’habileté, un jet de sarbacane parvient à l’embrocher pour le premier repas du matin. C’est sec de l’écureuil, un peu trop maigre et avalé en deux bouchées mais c’est un bon début pour la journée.
Aujourd’hui la brise fait plaindre la hutte. Mais que l’on se rassure, la maison vient d’être fraîchement refaite parce que l’ancienne avait été rongée par la vermine et les mauvais génies de la forêt. On a garni d’écorces les planchers et on a décoré joliment les murs avec des os, des coquilles, des carapaces. Peu de choses au fond, rien que du bio.
-T’entends la nuit ? demande Bombyx à son voisin.
-Demain le chef nous emmène en expédition. Y a intérêt à être à niveau. Alors DORS ! grogne Dioné, son compagnon de paillasse.
-Tu entends les arbres qui chantent ?
-Non, je dors !
-Ca plie sous le vent, ça tangue avec la liberté et ça joue avec les petits esprits. J’aime bien leur musique, chuchote Bombyx, les yeux grand ouverts.











1.3 Moon River, Barbara Streisand

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Je ne dors toujours pas.
Ca doit faire 36 111 secondes que je cherche une formule magique pour me fondre de sommeil. Je repense au vieil arboricole édenté dans sa jungle hostile. Une cabane construite dans les arbres porte en elle la magie de vous rendre inatteignable, absolument invincible. Mystérieuses cabanes, hauts lieux primitifs du premier souffle humain, me dis-je en adoptant la forme de tortillon dans le lit. Il est possible qu’à ce stade de ma réflexion, je dus être moi-même conçue dans un appentis de jardin… Pourquoi pas dans une yourte de démonstration au salon du tourisme, ou peut-être dans un observatoire à oiseaux migrateurs… Qui sait ?… A la hussarde dans une gloriette d’église entre deux grosses cloches qui sonnent la demi-heure.
Sous toutes les formes, je me suis amusée à les collectionner. Cabanes feuillues, aériennes, ventrues, en bulbe orthodoxe telle une goutte tombée du ciel, cabanes à hamster, en allumettes, avec empilement savant de containers recyclés. Cabane païenne, spirituelle, industrielle, virtuelle, reproductible à l’infini comme les modules d’une ruche d’abeilles. Cabanne de sable, d’air et d’eau, boule à neige comme frais isoloir, bulle fœtale réinventée, sphère aquatique réceptive aux soubresauts du monde. Je m’y serre dans un voyage initiatique dont j’ignore l’issue, sauf celui de racheter un carnet neuf tous les mois. A défaut de croquis, c’est alors l’écriture qui vient saillir ce petit monde archaïque d’angles, d’arceaux, de tiges. Les mots s’invitent et paraphrasent l’existence, pressant un bonheur confus mais juteux, pourvu que la plume rebondisse d’entre les pages et que cela ne s’achève jamais.
Hiep… Vite de l’eau pour me rafraîchir, il fait si chaud et je n’arrive pas à dormir. Au diable ce foutu vieil indigène Papou de la chaîne culturelle ! Ma vie à Bird Street est de loin tellement parfaite. Quand on décide de faire naître des enfants, ne se lance-t-on pas dans un merveilleux ministère que tout le monde vous envie ? Sauf que le renoncement à la vie dite active m’a conduite à une forme de transparence sournoise et qu’il n’y a qu’un pas distrait pour que je tombe dans le vide noir du fond d’un puits… aussi capitonné de soie puisse-t-il être ! Cette existence consentie aux conduites, à l’intendance et aux travaux domestiques me fait m’enliser dans un schéma où la séduction elle-même s’évanouit au profit de l’efficacité robotisée de la mère au foyer… foyer ardent… dent… dent… brosse à dents électrique, sèche cheveux électrique, couteau électrique, écriture électrique, amour électrique…vie électrique.
Zut, j’ai vu un éclair de surchauffe… Ca vient d’exploser. C’est malin, il fait presque tout noir maintenant. Mais quelle est cette silhouette qui me fait signe d’avancer ? La Belle chanteuse du petit écran me propose de ramper dans un wigwam de toutes les couleurs. Je m’exécute en retroussant ma robe de nuit. A l’intérieur, la fumée sent bon le bois de santal. Je lève les yeux et aperçois un rond de ciel bleu. En même temps, je dors. Je suis bien maintenant…Tiens, j’entends galoper des chevaux au loin. Un Indien entre dans la tente à pas de lynx. La Star s’envole alors par l’orifice de la tente, avec un sourire prometteur. Une lumière indirecte émane de la salle de bain. L’interrupteur est enfoncé avec doigté.
-Désolé, Betty… Ma réunion s’est prolongée un peu plus tard que prévu, chuchote Andrew avec précaution au dessus de mon épaule. Rendors-toi.
Je retourne dans ma cabane d’où s’est échappé le papou Koroway, avec rien qu’une dent au milieu du sourire. Il ne répètera rien de toutes ces choses amères que j’ai dite au sujet notre vie car il a cru que je pleurais des larmes de joie lorsque j’ai fait sauter tout le barnum électrique dans ma tête. Le verre est désormais mon refuge. Je me glisse dans la fraîcheur des flocons qui ressemblent à de la poussière d'étoiles. Personne ne dira rien, je peux dormir tranquille.
























1.4 Time To Prentend, MGMT, 21 soundtrack








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Le Hummer se dirige à vive allure vers la réserve indienne des Hualapai le long de la route 40. Le chauffeur a rendez-vous à 12 heures précises à Peach Springs Hôtel où s’est retirée la Star. L’agent artistique, Oscar de la Volores, s’enorgueillit de l’idée géniale qu’il a eu de proposer aux fans un concert dans pareil cadre : la plateforme Skywalk à 1200 metres au dessus du Grand Canyon. Du jamais vu dans l’événementiel pour ces vingt tonnes de matériel acheminées par semi-remorques à plusieurs heures de route de Las Vegas .

Avec jubilation, il vient de faire le point auprès de la centrale de billetterie de Londres. Les places pour l’autre site de rediffusion à Londres se sont toutes vendues en un quart d’heure seulement. La saison s’annonce bien mais il ne s’étonne plus de l’effet boomerang produit par les apparitions régulières de Mel à l’écran et dont il est le fieffé instigateur. Cette jeune femme est vraiment formidable, juste à la limite du mystère comme il lui a appris.
Evidemment, il est probable que ce show va sacrifier quelques plumes à l’environnement. Peu importe, il est à la mesure du talent de Mel. Chaque place vendue, sans compter les droits de rediffusion, va rapporter un beau paquet de billets à la boîte de production dont il a la charge depuis quelques années.
-Magnez-vous le train, les gars, il ne reste plus que quelques heures avant le début du spectacle !
Le soleil est au zénith et les techniciens s’affairent avec l’acoustique au pied de Music Mountains. Le site se remplit vite. On croirait assister à l’exode de milliers de fans déversés des entrailles d’un vaisseau spatial à la Spielberg. La couverture télévisuelle épargnera aux téléspectateurs l’inconfortable réalité des monceaux de déchets laissés par les premiers campeurs, installés depuis quelques jours autour de la scène principale. C’est l’événement du jour et la presse attend la star avec impatience, à en juger le nombre d’antennes satellite en pleine érection sur les caravanes posées le long de la route.

***
Au poil !
Je viens d’obtenir un ticket unique pour assister à la rediffusion de Melancoly Rolyat sur grand écran, au Royal Opera House. Rang 45, derrière les couples plus faciles à caser à la dernière minute, une place impaire conforme à ma vie, un ticket vert de gris, la couleur diluée du célibat forcé. Un billet sur mesure pour ma condition actuelle. Andrew est reparti en voyage comme toujours. Je le soupçonne de faire exprès. Et merde !
***
Melancoly Rolyat vient de prendre ses cachets. La pression la rend extrêmement nerveuse. Le déplacement en hélicoptère depuis Las Vegas sur les conseils de Teddy est une excellente idée. Oscar voulait profiter de son atterrissage et improviser une scénographie allégorique venue du ciel. Mais cette fois, elle a refusé de se laisser manipuler, alléguant que les caprices de star n’étaient plus une composante nécessaire aux légendes vivantes. Ainsi parti depuis Peach Springs, le pilote vient de la déposer en toute discrétion dans le ballet d’objets volants publicitaires, à quelques mètres seulement de sa caravane
Pour l’heure et avant sa séance de relaxation, elle a tout le loisir de découvrir les touches du nouveau mobile que lui a offert Teddy. Celui-là est en effet bien différent des autres, dépourvu de couleurs flatteuses ou plutôt si : il est d’un blanc intense comme l’insolence du jour levant, assez laiteux pour y deviner au travers se trame une vie intérieure, mat pour y griffer des instructions, brillant pour le courtiser. Sa forme épurée de coléoptère corroborerait presque l’idée d’organisme vivant… Sacré Teddy, dans quelle aventure va-t-il l’emmener encore ? La presse lui prête une relation amoureuse avec cette silhouette masculine qu’elle aime parfois afficher à son bras. Les journaux n’ont pas tout à fait tort quand ils prétendent qu’il pourrait être l’homme de sa vie. Si seulement il pouvait éviter de lui envoyer un prototype avant chaque sortie de nouveau portable, sa collection ne laisserait pas supposer une dépendance maladive à l’égard de ce petit objet diabolique.



-Nous survolons la réserve Indienne de l’Hualapai, annonce le pilote. Regardez, il reste ça et là quelques vestiges traditionnels pour touristes !
Elle inspire un bon coup, regarde au travers du hublot, se réfugie sous les écouteurs du portable qui délivre « Love Generation » de son ami Bob Sinclar. Les tipis dupliqués de leur ombre se révèlent comme autant de petits triangles lancés au sol. Elle s’en veut de corrompre tant de beauté avec cette super production du diable et s’excuse déjà de réveiller les âmes qui reposent en paix. Mais elle promet aux vivants, un délicieux moment en communion avec tous les esprits assidus au rendez-vous.











 1.5 Love Generation, Bob Sinclar






Ca y est, petits Londoniens, petits Papous, petits Inuits, c’est la rentrée scolaire.

Et c’est MA rentrée aussi, au même titre que la rentrée des mouvements sociaux, la rentrée de la cafetière familiale, la rentrée des poux et la rentrée des talons aiguilles qui poinçonnent le parquet dès 7 heures du matin.



En principe, je déteste faire comme beaucoup de parents de l’école : me présenter en délégation africaine, papa sapé comme « un Ambassadeur », maman très « Garden Party », convenus l’un et l’autre de fausse décontraction. Pour ma part, j’enserre militairement ma chevelure blonde, tamponne mes tâches de rousseur avec l’application d’un restaurateur de peinture byzantine, m’empaquette dans un uniforme Zara et deviens dans un accord farouche, la condensée parfaite de la transparence au féminin. C’est dans ce dénuement calculé que j’accompagne la petite dernière sur l’enrobé de la cour de recréation. Nous nous tenons la main. Un plasma nourissier s’écoule au compte-goutte d’un corps à l’autre. Il transite tant de choses d’un enfant vers son parent. Le débit ralentit et il faut pomper pour sentir que l’enfant est bien là au bout des doigts.

Après un silence fébrile, la cour s’emplit d’une marée humaine à la vitesse d’un cheval au galop. Les sourires s’entremêlent, des bras s’étreignent, les ambassadeurs se félicitent d’être là, sacrifiant une heure de leur précieux temps. Il y a quelque chose de tribal dans cette chorégraphie humaine. Les familles arrivent par grappes entières, font le tour de l’enceinte puis se désagrègent pour former d’autres sous-corpuscules homogènes. Un bref tour de piste et je ne peux m’empêcher de rechercher une défection particulière dans cette communauté saturée de couleurs : une anomalie grasse comme un drame, une métastase égarée, une chute tragique, un cœur embrasé sur une plage, quelque chose qui ne fait mal qu’une fois et qui ne se répare pas. C’est de l’ordre de l’instinct, du rite secret. J’obéis à cette pensée primitive à laquelle je ne souhaite pas échapper. Mon engagement est tenu, la dévotion toujours en bandoulière.

Veiller sur ma communauté. Avec force et instinct, être Mère de cent familles en même temps.

***

C’était hier, trente ans déjà, un rond de gamines s’était formé autour de moi et chacune notre tour nous évoquions nos vacances. J’avais dû suivre l’ordre de passage et m’abstreindre à raconter que maman était tombée brutalement malade au mois d’août, dire qu’on avait passé pas mal de jours à l’hôpital et que ce n’était pas drôle
-Ah et maintenant, elle va mieux ? m’avait dit une des filles ordonnant une fin heureuse à ma piètre histoire, assez impatiente d’enchaîner.
-Non, elle est morte, ça fait cinq jours.
J’avais subi un séisme existentiel sans échelle galactiment mesurable. On m’avait amputé de mon corps, me laissant totalement inerte sur le bas-côté. Je m’étais enveloppée sévèrement de noir priant qu’on y détecte une gravité de grande personne. Maman avait eu le mauvais goût de partir avant la rentrée des classes et il fallait que je me présente au monde, différente de la fillette que j’étais auparavant.
Depuis cette époque, soupirs verbaux et cahutes de guingois avaient colonisé des tas de brouillons informes qui avaient muté ensuite en carnets… Organisés. Thérapeutiques. Le dernier en date porte le numéro trente deux, sans compter tous ceux que j’avais volontairement égarés. Durant l’enfance donc, j’y retrouvais refuge quand d’autres crevaient les piscines gonflables où se disputaient la Rue de la Paix au Monopoly .
Débarquant au monde des adultes comme une campagnarde à la ville, je faisais le choix de l’architecture pour nouvel asile. Quelques années confortables en agence à courir les concours, gratter l’encre et circonscrire de sévères cahiers des charges avaient alimenté l’intégrisme solitaire dans lequel je me complaisais.
Puis vint l’Amour, le Grand et ses Saints Sacrements me délivrant de ma retraite punitive. Avec Andrew Aarcher, je m’étais mise enfin à pousser les murs, à envisager les grands espaces, les grandes idées, les grands défis. Tout, pourvu que la partition soit toujours écrite à quatre mains. Tout était entendu pour y cultiver une certaine forme de multiplicité, et dans la contagion, la promesse de tout partager. Nous étions simplement prêts pour un nouveau chantier : une vie entourée d’enfants.
Vint ensuite le nécessaire partage des tâches qui s’imposa aux réalités du quotidien.
Puis… Puis… Je me repliais sur mes grossesses, mes bébés, mes enfants et à mon tour, je connus les affres des piscines gonflables et les subtilités tordues des jeux de société.
Une mère ne devrait jamais manquer à l’appel. Une mère doit toujours dispenser l’amour de manière totalement inconditionnelle et le garantir à vie.
Une mère a le chic…de gonfler une piscine avec un sèche cheveux dans une petite bouteille en plastique en guise de goulot en moins de dix minutes. Une mère connaît toujours l’issue heureuse à la banqueroute au Monopoly avec des sablés à la violette en forme de pièces de monnaie de grande valeur. C’est ainsi.
Il en va des pilotis structurels de notre ethnie.
Et les pilotis, ça se bricole toujours.

***
Cinq sur cinq.
Mon troisième œil ne décèle aucun stigmate et le détecteur affiche feu vert. Je vais pouvoir passer à la bénédiction du ciel, danser autour de cette comédie aux allures claniques, boire enfin à la régalade les derniers légers potins de la cour. Entre femmes Inactives, je peux bien m’offrir ce moment d’insouciance. Cela caquette, glousse ou jacasse de partout, mais seul, le bronzage donne le véritable ton des vacances. Carnation iodée ou continentale, soleil ou pluie, il n’y a pas de nuances qui survivent au vrai message du teint. Je constate que le grand chic cette année est de rentrer-la-veille-de-l’école, façon hélitreuillage du paquet sanitaire au milieu de la cour. Je regrette la façon irresponsable de priver les gamins d’un sas de décantation : «Vite, Tommy chéri, ton maillot de bain dans le cartable et ton agenda dans la machine à laver s’il te plait…Heu non, le contraire bien sûr, où ai-je la tête ? Ah, j’ai besoin de vacances ! »
Des sonneries de téléphone portables chargent la basse-cour de mélodies guillerettes. Elles me laissent dans un désarroi confus car je mesure la distance avec laquelle je peux mépriser parfois cet objet. Un roquet aboie en boucle du fond d’une poche. La propriétaire du portable répond nerveusement. Elle porte un collier à brillants et a le cheveu semblable à un bobtail en jachère. Je finis par croire que son interlocuteur est la meute de chiens elle-même avec qui elle partage sa vie. Elle embrasse ses enfants et part jouer les martyrs ailleurs. J’en repère une autre d’où jaillissent des cris déplacés comme ceux d’une épilation à la cire froide. L’habit ne convient pas cette fois mais le rouge de la honte grimpe au thermomètre. La bourgeoise des beaux quartiers rit pour étouffer sa confusion. Elle songe déjà à broyer la figure de son amant pour l’avoir dérangée à la plus mauvaise heure de sa journée. La cour se vide peu à peu. Moi, je reste là parce que personne ne m’attend. C’est un peu de ma faute. Depuis un vol à la tire exécuté avec finesse par un babouin échappé de sa cellule au zoo, je n’ai plus de téléphone portable pour me relier frénétiquement au monde.
Les livres d’éducation disent que les enfants dépassent l’angoisse de la séparation vers 2 ans. Aucun âge n’est indiqué pour les mères, alors je traîne encore un peu. Les cloches tardent à donner le signal. Les parents manquent déjà à leurs enfants même soudés à eux comme deux rames de métro.
Monsieur le directeur de l’école arrive enfin et grimpe sur un escabeau. Il remercie les parents pour leur confiance, bien entendu toute partagée. En bon prédicateur, il appelle à la collaboration de ses sujets pour faire du bon travail en cette nouvelle année. Sous sa veste gris anthracite, un Smiley sur le tee-shirt tente une percée dédramatisante à chaque fois que le bras droit s’agite vers le haut à la manière d’un chef d’orchestre. Il regarde le ciel, s’accorde une profonde inspiration, prend l’anticyclone du moment pour de bons auspices, lève le crayon de bois à la manière d’un missionnaire influent pour répandre la parole qu’il promet bonne.
-Que la nouvelle année scolaire commence !












1.6 Primitifs, Richard Gotainer





-Et veille bien sur les jeunes gens que je t’amène ! vocifère le chef en ce premier jour de marche dans la forêt.
Nepenthes agite en transe sa coiffe de plumes rouges comme une arme de dissuasion supra-cosmique. L’éclair répond au loin en écho et, sous la voûte de plus en plus obscure, la colonne s’enfonce de nouveau dans la forêt primaire. La journée a été longue mais il ne faut pas montrer sa fatigue aux autres.
Bombyx doit être de loin le plus jeune de l’expédition. Aujourd’hui était son premier jour parmi les gars de la tribu missionnée pour la Grande Marche. Bombyx n’a pas d’idée précise de son propre âge, mais il est déjà bien musclé et sec. Chez les sauvages, on ne reste pas longtemps enfant. On apprend très tôt à devenir un vrai guerrier.
Encore plusieurs heures de grimpe avant de pouvoir prétendre au repos. Et puis une fois arrivé, il faudra trouver un endroit où accrocher son hamac. Ca ne fait rien. C’est bon de grandir et de devenir un homme. Ce qui compte, c’est de faire partie du groupe, de faire comme les camarades de hutte et tous les autres. Il est heureux de ça. Bombyx aime bien cette vie. Il n’a pas d’autre choix que de l’aimer.
Pourtant, ce qu’il aime par dessus tout, ce sont les cailloux, ceux qui brillent la nuit. Il aime les accrocher à une liane et les serrer contre lui pour avoir plus chaud au cœur. Les autres se moquent de lui mais lui, il pense que ce sont des petits diablotins venus lui raconter des histoires de magie. Car la magie, c’est son narcotique, son énergie renouvelable, sa ligne de conduite, sa pensée positive qui le mènera peut-être un jour de l’autre côté de la montagne pour affronter les démons blancs.
Là où de grosses bêtes de métal semblent dévorer d’un appétit barbare la terre de ses ancêtres.







1.7 Le Diable s'Habille en Prada, soundtrack


Premier mercredi de l’année scolaire..
16H30. Anniversaire d’un camarade d’Alice, au Mac Do à l’autre bout de la ville. J’étouffe des jurons intérieurs car la distance parcourue ne me permettra pas de rentrer à la maison avant la fin de la soirée. Contrainte à deux bonnes heures d’attente, je vaque dans la grande surface la plus proche pour y collecter, comme tout le monde, mes fournitures de rentrée scolaire :
-Un nouveau sac à provisions… davantage provisions que sac.
-Un agenda de la taille d’un poing pour faire la fille supra-occupée.
-Le tout dernier « Melancoly Rolyat en duo » (c’est à dire probablement compromise avec les rockeurs les plus Hot de la planète).
En traversant le rayon cosmétiques, j’en profite pour faire le plein de tubes d’argile, honorant ma faiblesse pour les masques de beauté.
-Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus vilaine du château afin qu’on me laisse tranquille un moment ? 




Lors de mes premières expériences dans le monde effrayant des embrocations et autres pommades relaxantes, seul le grenier m’a offert l’isolement qu'ordonne la lente disgrâce physique. En gravissant patiemment les échelons si je puis dire, j’ai réussi à m’approprier la salle de bains communautaire à l’étage du dessous. Aujourd’hui, j’y prends mes quartiers pour y exfolier l'amertume des mauvais jours. Je m’y gratine d’onguents cuisinés, de concoction d’apoticaire, je m’essaie à l’autoportrait cubiste avec des camaieux de verts, parfois de bleus. On raconte que dans les hautes terres de Papouasie, alors qu’un groupe de guerriers cannibales cherchait de la chair humaine, de pauvres hères pourchassés s’étaient couvert de boue colorée afin de se faire passer pour des esprits. A la vue de cette transformation, les tueurs firent heureusement halte… J’épargne aux enfants ce genre d’anecdotes de sorcières aigries avant d’aller au lit. Je laisse à Peter le privilège de raconter ce genre d’ignominie rigolarde lorsqu’il se porte volontaire pour jouer les baby-sitter de secours, tout spécialement lorsqu’il est de retour de voyage.
Car Peter est ethnologue et je l’aime. D’amitié, j’entends. C’est mon voisin.

D’ailleurs s’il pouvait m’observer de sa lucarne ronde, dirait-il de ma boue sur la figure qu’elle a pour but de ressembler à un bon génie ?
Pas la peine d’une loupe grossissante de spécialiste du genre humain pour noter que c’est une forme d’abandon que j’essaie de gommer, sous mon masque dit de Beauté…
Pas la peine.








 1.8 Générique Asterix et Obelix, vs César
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-Te ramener quoi? Trois cochons femelles ? répète Bombyx.
-Et „noiraudes“ comme on les aime, avec des rayures en plus.
Voilà ce qu’il faudra apporter pour séduire la belle Venus. Tout est déjà arrangé avec la belle famille. Vénus n’est encore qu’une très jeune fille mais tous les anciens se sont mis d’accord : le mariage se tiendra lorsque Bombyx aura réalisé un acte de bravoure favorable à la tribu. Et surtout lorsque tout le monde se sera cotisé pour apporter 100 kinats, deux brassées de coquillages et quatre splendides cochons noirs à la famille de la mariée. Autant dire qu’il a bien le temps avant de convoler. Les prix grimpent mais le chef Nepenthes est d’accord pour participer à la compensation matrimoniale. Bombyx n’est-il pas le fils du deuxième mari de l’épouse du frère de son grand père, lui même cousin patrilatéral de son propre beau-frère ? Dans ces conditions d’extrême consanguinité conviviale, Bombyx a déjà hérité d’un premier cochon noir. Il est un peu comme sa monnaie sur terre, un alter ego transitionnel à la condition humaine, sa petite boule de poil sacrificielle, son assurance conneries en cas de coup dur ! Et comme l’accès à l’au-delà n’est bigrement pas gagné, y a intérêt à toujours bien se comporter de son vivant si on ne veut pas retourner à la case départ.
-Allez gamin, faut marcher ! Toujours marcher et ne pas avoir l’idée de dévier !
Bombyx soupire. Dioné, son co-équipier de vie, ose une question.
-Il te l’a dit à la fin, le Super-Big-man, ce qu’on est venu explorer sur cette colline ?
-Il ménage le suspens. Et le suspens fait tenir les hommes. C’est un truc de chef, ça… On cherche, mais on ne sait pas ce qu’on cherche.
Le Chef prend alors une longue inspiration :
-Aujourd’hui, nous sommes à la recherche de ce qui fera la grandeur de notre tribu, entonne le grand chef. Les Byblis ne reviendront peut-être pas tous vivants de cette expédition, mais au moins ils auront tenté l’aventure.
-Du suspens, je te dis…
-Chut, il va parler, ordonne Bombyx.
-Certaines tribus passent leur existence dans la tourmente. Aujourd’hui, les Byblis s’acheminent enfin vers la solution à tous leurs fantasmes. Il est temps de dompter la nature et d’y capturer toute sa quintessence sacrificielle !
-J’ai rien compris, je préférais le suspens.
-Chut, ça vient…
-Cela fait des lunes et des lunes que nous le cherchons. Il ne nous résistera pas longtemps, foi de Byblis ! J’ai nommé …le « Berlepsch à 6 fils » capable de rendre en retour…
-C’est quoi ?
-Chut …!
-De rendre en retour…la VIRILITE, explose de rage Nepenthes. A ceux qui l’ont perdue comme moi… Au détour du chemin… achève le chef, les mains plaquées sur le visage, à genoux sur sa paillasse.
-Non, mais moi, je te dis qu’on est pas rentré à la maison !










1.9 How Sweet It Is To be Loved by You, James Taylor


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Dans la suite présidentielle, les rideaux électriques se lèvent en silence sur une lumière zénithale qui ne fait pas de mystère sur l’heure tardive de la journée. Le panorama de Las Vegas offre à Melancoly un tapis désordonné de jouets pour adultes. Une tour Eiffel compare sa silhouette avec un pharaon en stuc. Des guitares électriques pleuvent des notes gonflées à l’hélium à perte de vue.
Son staff est déjà sur le pied de guerre, analysant le succès de la prestation de la veille. La magie de la Diva a bien opéré sur tout le cirque rocheux. Vraiment du travail de pro ! On visionne en boucle la perfection avec laquelle la star a su émouvoir la foule. Dès demain, on fera monter les quatre films ensemble, et la post-prod à intérêt a faire du bon travail si on veut que les Dvd débarquent chez les disquaires avant Noël prochain. Oscar jubile avec un sourire de dix mille volts. S’occuper des intérêts d’une vedette a été le meilleur coup de sa carrière. Avocat de formation, une relation commune a eu l’idée d’associer les ciseaux et la pierre, la force et le talent. Ensemble, ils ont fait équipe et rien n’a semblé pouvoir les arrêter jusqu’au jour de leur collaboration nouvelle avec le géant de la téléphonie mobile, Exodus. Dans une logique marketing parfaitement rodée, la multinationale a été désireuse de s’acheter une conscience humanitaire et a surfé ainsi sur les courants de pensée du moment. Toutes sortes de sponsors sont venus sonner à la porte de stars afin, disaient-ils, de collaborer à l’éradication de la pauvreté et de « structurer au mieux » leur immense charité face à l’isolement du tiers monde. Un pourcentage de recettes des concerts repart vers des associations humanitaires, conformément aux exigences d’une nouvelle Charte globale. Mel qui a suivi les négociations de loin, a aussi vite succombé aux premiers cadeaux de compensation de la firme Exodus, la menant de façon insidieuse vers une addiction sournoise pour les téléphones portables. Il y en a de tous genres, en forme de bracelet, en pince à cheveux, en chapelet et maintenant en forme d’insecte. Mel a tout l’air d’une gamine en perdition, envoûtée par les jeux solitaires, les applications stupides qui annoncent votre situation astrale, votre âge intellectuel et même calculent le jour de votre mort. Teddy a facilité les transactions entre Oscar et les gars de chez Exodus. Tout cela est parti d’une bonne intention, mais l’étau s’est resserré et Mel en regrette les effets pervers. Aujourd’hui, il est exigé contractuellement « l’attitude irréprochable » de son égérie. Oscar a été été gourmant et Mel, trop naïve. Le mariage qui les unit, prend fin dans quelques mois. Ce pacte avec le diable tombe au moment de sa carrière où elle tient à prendre un peu de recul. Il n’a pas échappé à Oscar la manière dont Mel s’est écroulée derrière le rideau après le quatrième rappel. Il serait fâcheux qu’une caméra indiscrète ne la surprenne au saut du lit, sous l’emprise d’anti-dépresseurs, le visage altéré par une certaine paresse de la vie.




Dans moins d’une heure, au dernier étage du Four Seasons, en grande pro, elle se soumettra aux questions de la conférence de presse. Il ne faudra décevoir personne.
Car c’est écrit dans la Charte.









1.10 Dct House theme-full version





Cher Monsieur Aarcher,
"Dans votre intérêt et celui de la société, nous vous invitons à subir un check up partiel au Saint Thomas’s Hospital. Vous êtes attendu pour une coloscopie de contrôle à 8H00 ,
ce 6 septembre prochain.
 Signé, le département des ressources humaines, MT Sound "

-C’est un peu sec mais obligeant, leur petit courrier du cœur, dis-je en cochant le protocole médicamenteux.
-On devient prévoyant dans le monde de l’entreprise. Toute absence au bureau peut se révéler fatale, Betty.
-Chaque absence « tout court » est fatale, chéri. Et toi, tu n’es pas bien présent parmi nous ces derniers temps.
-Me préférerais-tu absent de la maison … mais mourant au fond du lit ?
-Je dis que les absents ont parfois tort, c’est tout.
Et ce matin donc, c’est l’abdomen de mon voisin qui chante l’alléluia. Ses allers-retours vers la salle de bain m’extraient vaguement d’un rêve rafraîchissant où j’avais trouvé refuge pour la nuit. Il me semble que les soubresauts infligés au lit conjugal témoigent de l’efficacité de la médication « à tenir hors de portée des enfants ». Cela s’annonce sportif, relais quatre fois 5 mètres avec le même coureur à chaque fois.
-Comment te sens-tu ?
-Ramoné, merci
-As-tu bien dormi ?
-Excuse-moi, faut que j’y retourne.

7H30. Départ pour l’hôpital.
7H31. Me voilà désormais seule dans la maison, gagnée par l’écriture du prochain Docteur House. Je trouve qu’ils y vont un peu fort chez MT Sound avec leurs manières chamaniques de sonder la motivation de leurs salariés. J’espère au moins qu’ils ne vont pas lui implanter un mouchard, là où personne ne pourra jamais le retrouver .
Allons Betty, rends-toi utile, prépare la bouillie du condamné…
Et si un grain de riz restait coincé dans l’œilleton de la caméra ?
Et si un petit pois se prenait en pelote de laine avec la fibre optique ?
Et si le portable était le véritable instrument de l’avenir ?
Et si je pouvais téléphoner bientôt avec l’au-delà ?
Et si je réorganisais enfin la commode à chaussettes dépareillées avec charité miséricordieuse ?
L’angoisse cède le pas à la confiance sur laquelle nous nous étions mis d’accord. Le téléphone sonne. Techniquement inopportun. Trop tôt. Beaucoup trop tôt.
-Bonjour Betty, c’est Natacha.
-Natacha… Comment vas-tu ?
-Très bien. Et tes vacances au frâis à la montagne, super, je suppose…
-Oui, merci… La rentrée de tes enfants ?
-Super aussi, me dit-elle.
Et c’est dans un tchin-tchin de super que nous validons les moments forts de la rentrée, comme si nous étions à cours de mots et que lui seul pouvait nous faire cliquer sur l’idée suivante.
-Où en sont tes projets de reprise de travail ? Tu étais sur plusieurs pistes…
-Heureuse de t’annoncer que l’affaire est quasiment signée. Je vais diriger les stylistes du catalogue par correspondance The Happy Body. Et en plus, on me propose un pont d’or (ahahhihaho, faut-il comprendre du fond de l’écouteur).
TRAHISON.
J’accueille la nouvelle avec l’enthousiasme qu’il faut voler au mensonge, prête à me faire hara-kiri avec mon couteau à épluchures.
Natacha va rempiler chez les « Actives », éternelles rivales à mes yeux...
Les A comme je les appelle. A comme Acide Chlorhydrique, Anaconda, Allergie , Alien …arrcchhhh.
Chez Aarcher, le A côtoie l’imposture. L’initiale empruntée aux liens du mariage m’offre tout juste d’être la première de cordée aux listes alphabétiques. Je dois porter le A comme le ferait un catholique et sa croix, toujours en attente d’un miracle. Sans compter que par idéologie, c’est plutôt d’un I donc je serais flanquée. I comme « Inactive », I comme un piquet de parasol, planté à la masse par le gars le plus baraqué de la plage.

Oui, tout nous sépare. Natacha et moi, sommes aussi différentes qu’un chat et un chien. L’un attrape des mulots et l’autre rapporte des os déjà morts. Nous ne chassons pas sur le même territoire. Elle aime la chair fraîche, détaille sa proie puis son parfum capiteux fait le reste. Elle n’est pas spécialement jolie mais louvoie en zones troubles, jette son dévolu d’une œillade au curare, aimante puis achève d’un petit coup sec dans le cou de sa victime.
Pourtant rien d’exceptionnel n’a marqué sa vie. Trois années d’études en stylisme, 10 ans dans une entreprise de moquette à redessiner le galbe de la touffe de poils. Un tour de piste en talons aiguilles à tous les postes de direction, la jupette vaporeuse et le décolleté né pour le lancer de lassos. Des indemnités de départ rondement gagnées. Un congés de trois ans pour sacrifier au rite du deuxième enfant roi. Puis la nounou sino-anglaise comme objet de luxe suprême pour mieux courir la salle de fitness et déléguer définitivement les biberons de jour. Me voilà bluffée par celle qu’Hollywood appellerait « Le retour ». Oui, « Natacha is back », ressourcée voire catapultée par trois années de jouissance totale à la maison. Et j’oubliais, deux divorces et quelques hôtes de passage à la maison. Une grande solitude, un brin de névrose et beaucoup de générosité.
- A part ça, Châirie, quoi de neuf chez les Aarcher ?
D’une voix désinvolte, je décide de prendre position et de monter au filet, histoire de renvoyer à la force du poing une des vingt balles atterries dans mon camp, faute de cordage à ma raquette.
-J’ai entrepris de ficeler bout à bout tous mes cahiers. De réécrire l’histoire. Je le fais pour les enfants, pour la valeur testimoniale.
- Mais tu n’es pas malade… en phase terminale que je sache ?
- Non mais ça me plaît bien de réinterpréter notre vie. Tout ça est permis quand on écrit. On appelle ça la sublimation .
-Avec quelques mensonges en plus ?
-Oh, quelques facéties de bonne femme, des faux cils, des hauts talons, une perruque. Il y a du bon à se désincarner au travers d’un grimoire. Transcender les conventions, survoler sa vie, même à basse altitude. On voit mieux d’en haut, ce que l’on peut supprimer parmi les vieux meubles …
-Tu es sûre que ça va, rase-moquette ?






1.11     Glamourous , ft.Ludracis





Messieurs, rangez vos flashs. La star n’aime pas quand ça crépite trop, prévient Oscar de la Volores.
Les femmes de chambre s’agglutinent derrière un chariot de linge, prêtes à témoigner qu’elles ont vu de leurs propres yeux la petite amie de Dieu en personne. Quatre colosses, les oreilles pleines de tortillons, postés devant la porte, balaient d’un regard mauvais toute personne ralentissant à hauteur de la chambre de la vedette. Oscar appelle Mel pour respecter le planning. Cette fois, il est temps de descendre faire son job. Paraître, sourire, accepter avec élégance la gloire qui perle comme une pluie céleste .
-Par ici, Mademoiselle Rolyat. Les journalistes vous attendent au Grand Atrium, dit un jouvenceau de chez Coca-Cola avec une œillade familière.
Le personnel de l’hôtel a du mal à contenir le débordement des badauds. Les appareils grésillent. Les cadreurs font des essais de profondeur de champs. Les journalistes s’impatientent.
-Hiep, ma p’tite dame, j’ suis sur ma chaise depuis 6 heures du mat’, dégagez de ma vue, je ne repars pas sans avoir coffré la p’tite pour « Rock and Roll magazine ».
-Je ne vous permets pas, c’est l’agence Vanity Fair qui m’envoie, montrez-moi votre accréditation. On n’a pas idée d’être aussi mal élevé !
-Faut pas vous gêner, les amoureux. On est là pour bosser s’il vous plait, un peu de calme.
-La voilà qui arrive ! Un peu de dignité, ordonne un jeune reporter de chez Serendip’.
Les journalistes font silence.
-S’il vous plaît, un seul à la fois pour les questions, ordonne Oscar.
La tension monte comme les degrés dans la salle. Une caméra retransmet en direct dans chaque chambre de l’hôtel sur le canal 12. Melancoly s’installe et parle la première :
-Mesdames, Messieurs, je vous écoute.
-Avez-vous conscience que vous symbolisez l’idéal féminin d’après le résultat d’une enquête menée parmi les vingt/trente-cinq ans ?
-Selon quels critères, Monsieur, dit-elle en soulevant ses lunettes noires ?
-Gloire indéfectible, musique engagée, sympathie naturelle, franc-parler non dénué de fragilité humaine.
-Dites à vos vingt/trente-cinq ans que l’idéal féminin n’existe pas. Je suis une fille toute simple qu’on a hissée tout en hauteur. La notion de vertige existe. La peur de la chute aussi… Connaissent-elles seulement la pression, vos interlocutrices ?
L’assemblée retient son souffle. Oscar, transpirant déjà comme une patisserie tunisienne, se tamponne le front tandis que le journaliste se sent investi d’une mission divine :
-Pouvez-vous illustrer ce que vous entendez par « simple » ?
-Etes-vous marié, Monsieur ?
-Oui, mais…
-Aimez-vous votre femme ? 
-Oui…Geena.
-Où avez-vous rencontré Geena ?
-Sur les bancs de la fac.
-Avez vous des enfants ?
-Deux garçons, Tom et Jimmy.
-Je pense que vous avez répondu à votre propre question, Monsieur.
Une vie toute simple, toute simple .

***

-Il y a du bon à avoir « une vie toute simple », renchérit Natacha.
-Je ne la connais que trop bien. Enfants et mari sont devenus ma seule patrie. Un peu d’incursions menaçantes serait l’occasion de réveiller mon sentiment patriotique, crois-moi. J’ai besoin d’évasion. L’art du croquis verbal me le permet bien…J’arrive même à me faire peur…C’est totalement excitant, crois-moi !
Natacha avait quelque chose dans son silence qui me disait cette fois :
-Et où peut-on l’acheter, ce truc ? Comme si j’avais pondu l’oeuf miraculeux depuis notre dernier coup de fil, genre gestation de rat, un roman toutes les trois semaines avec quatorze petits par portée soit la bagatelle de vingt millions de pages en un an. Oh formidable filon ! J’ai dû mentir. Ai forcé un peu sur la marchandise, ai gonflé ma quantité de pages produites, ai fait celle en relation hautement confidentielle avec un éditeur rencontré devant le distributeur à boissons dans la cour d’école.
-MAMANNNNNNN !
Mais voilà, j’entends le petit Léon fendre d’une magnitude dix la coque de l’écouteur. Des explications s’interfèrent. Tout s’englue d’entre le combiné et l’oreille.
-Betty, excuse-moi, cette fois je vais devoir te laisser. J’ai un autre appel de mon sac, je t’embrasse.
Quoi, c’est tout ? Depuis quand les sacs appellent-ils les gens ?
-Ma chérie, retourne à tes fourneaux et taille bien ta mine de crayon, résonnait ainsi la chute de cette conversation.
D’accord… Mes motivations n’étaient pas aussi clairement libellées qu’un poste de direction. Mais je lui parlais d’Ecriture, de cette quête expérimentale qui vous abrase le corps comme un peeling au laser. Je parlais de ce sport immobile qui vous laisse courbatue à force d’étreindre l’esprit, de cette source vive qui jaillit en vous, de ce lavement… de… Andrew… Au fait, est-il encore vivant ? Hum, mais ça sent le brûlé… La cocotte n’en peut plus d’être oubliée. Est-il seulement réveillé ? Je vais dresser la table. Combien d’assiettes, ce midi, au juste ? Entre le mari ligoté, bâillonné, fait prisonnier à plat ventre et la prétendue bonne copine, sortie lauréate de sa torpeur hivernale, je ne touche plus terre. Tout m’irrite !
Le téléphone sonne.
-Betty, c’est moi !
-Est-ce que tu es mort ? dis-je avec un infime doute.
-Je suis complètement réveillé…
Et voilà. Je projetais au dessus de mon plan de travail, mon amoureux avachi dans un fauteuil roulant. J’apprends qu’au carillon de midi, il est prêt à jouer à saute mouton avec les infirmières. Réanimé, purgé et bicolore des pieds, oui, je l’aime. A son retour, je lui parlerai de cette peste adorée de Natacha. Il me réconfortera, conscient que depuis notre rencontre, il n’a pas vraiment épousé la couverture de Vanity Fair. Ses bras me porteront aux nues, nymphette au foyer avec mes grimoires de compagnie et mes croquis cosmo-psychanalytiques. Allez ma grande, au travail. Enfile ton tablier brodé et fais-toi aimer avec simplicité. Emincé de petits légumes, lotte en papillote, soliflore et nappe vichy… La vie redémarre ! Hourra, chantons avec Mel.
-How sweet it is to be loved by you… Hiep, hiep, hiep, how sweet it is…. !

***

-… to be loved by youuuuuuuu !
-Merci Mademoiselle, de nous avoir chanté un petit extrait de votre chanson fétiche .
-Excusez-moi, j’ai la voix un peu enrouée en ce moment, les méfaits de la clim.
-Votre dernier succès, Melancoly, est un hymne à l’amour. On vous connaît beaucoup de princes charmants…
-J’ignorais que je régnais sur un trône.
-On vous voit régulièrement en compagnie d’un beau ténébreux. C’est un homme d’affaires, n’est-ce pas ?
-Nous sommes en effet proches, mais il est trop parfait pour moi, dit-elle en riant avec naturel. Peut-être que le vrai prince charmant se cache parmi vous… Ou dans cette ville, Messieurs ? surenchèrit Mel sur le ton de la diversion. Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une bonne journée à Las Vegas, lieu de tous les mirages !











1.12 Promise You a Miracle, Simple Minds
 Est-ce que vous l’avez vu, l’oiseau star ? demande Dioné.
-Il était face à toi, abruti, glousse Bombyx !
-Abruti toi-même, il vient de passer sous ton gros nez…
-Ouais, on dirait qu’il vient de nous échapper.
-Ca porte pas malheur au moins ?
-Chiffe molle, on est là pour traquer le « monstre des virilités ». Oui ou non ? On est des „Byblis“, alors c’est pas un moineau qui va nous empêcher de régner ici.
-Bon, on dit rien au chef, sinon il va nous étriper… On fait semblant de rien et on continue à traquer.
-Ah je te jure d’une vedette, vivement qu’on lui plume ses six poils sur le caillou !
-On finit par avoir des hallucinations les gars, soupire Bombyx.
-C’est pourtant toi le spécialiste en magie… tu crois que ça marche aussi avec le triglossope à deux bandes jaunes? demande Dioné.
-Ben non, sinon, ça se saurait… Pourquoi ?
-Parce que t’as accroché ton hamac au dessus de son nid et que ça pourrait arranger nos bidons qu’on pique les plumes du poulet, de retour de sa promenade.
-On ne rigole pas avec la magie, les gars… Ca marche ou ça marche pas, on peut vraiment rien bricoler là-dedans !











1.13 Out of Reach, Gabrielle, Bridget Jones Theme









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-Quand dois-tu nous quitter ?
-Demain, à 8H10 d’Heathrow. Le chauffeur viendra me chercher.
-Veinard, dit tout bas Betty.
-Pourquoi prends-tu cet air de chien battu ? demande Andrew.
-J’aimerais qu’on m’emmène un jour.
-Quoi, à Heathrow ?
-Je ne parle pas d’Heathrow, tu le sais bien. Je veux dire… J’aimerais… voir un peu de pays.
-Ce n’est pas la première fois que je pars, quel est le problème ?
-Ta mauvaise foi.

Pourquoi ai-je succombé au charme d’un homme dévoué depuis douze ans à la recherche du nouveau Graal ? Pour la téléphonie mobile à la portée de tous et pour le bienfait évident de l’humanité : Andrew Aarcher, diplômé d’Oxford, docteur en analyses fréquentielles du signal, est l’expert rutilant qui a le talent inouï de naviguer en aveugle sur les composants électroniques dont il en revendique, avec émotion, l’absolue paternité. Le même Andrew Aarcher redevient un petit enfant lorsqu’il s’agit, chaque matin, de s’arrimer mollement sur la commode à chaussettes et d’en extraire avec une distraction quasi méthodique, un doublon impeccablement dépareillé : il plane ainsi à mi-hauteur de la galaxie, plus proche du relais satellite que de toute autre escale familiale.
Est-il vrai que le Portable mérite qu’on y consacre une vie ? Pourquoi ici-bas s’économiser en techniques de communication, docteur, père et époux ? Et pourquoi bon Dieu es-tu toujours AILLEURS alors que c’est ICI que nous sommes ?
Peu importent les sacrifiés de l’Histoire, l’ordre du jour est laconique et sans appel :
-On planche dur, les gars ! On va bouffer tout cru, ces salauds de concurrents !
Le président, Ted Mac Taylor, vient d’orchestrer en urgence une réunion de crise à New York pour décider du prochain prototype qui va être proposé à Exodus au printemps prochain. La société MT Sound s’enorgueillit d’être le principal partenaire de la firme mondiale mais est bien consciente des avancées de la concurrence japonaise ou coréenne qui ne porte pas de la dentelle fine sous son costume à lignes. Ainsi Andrew fait partie des meilleurs spécialistes en technologies de communication, sinon le meilleur. Tel un beagle lâché dans une campagne du Sussex, il a le flair pour valider les produits qui feront le succès de demain. N’a-t-il pas défendu, envers et contre tous, le célèbre portable en forme de collier où chaque perle contient assez d’informations pour contenir l’annuaire téléphonique d’une mégalopole ?
Il y a un an à peine, Andrew avait bien voulu expliquer à la cellule familiale comment l’hyper-miniaturisation des composants de portables étaient désormais à l’honneur. Avec mon pragmatisme étincelant d’intelligence, j’avais suggéré que de pauvres nano bestioles pouvaient se noyer dans un tambour de machine à laver ou tomber dans la poudre obscure d’une préparation pâtissière. C’est alors qu’avec les yeux de l’amour et la politesse indéfectible du consultant, il m’avait répondu que ces puces en service deviendraient des implants sous-cutanés comme les simulateurs cardiaques :
-Je t’explique, Betty, c’est assez simple : imagine qu’une partie de ta mémoire pourrait être disponible ailleurs, confiée à un disque dur sur lequel ton cerveau serait connecté. Tu te rends compte, plus besoin de choses inutiles comme le clavier ou l’écran !
-Pardon, je suis architecte, pas couturière.
-J’admets qu’à la place d’une prolongation de soi, il s’agirait d’une transformation de ta personne, dit Andrew en regardant dans le vide.
-Allo, Allo, mon Amour, suis à côté de toi sous la couette, tu m’entends ? Oui, 7 sur 7, chérie… Ici un fusible vient de sauter, mayday, mayday… J’ai un sein qui crame, appelle la centrale pour qu’un gars vienne me faire une palpation mammaire… Je ne capte plus quand je suis allongée, lui dis-je en m’adressant à son auriculaire .
-Ce n’est pas encore pour aujourd’hui…
-C’est donc comme cela que vous voyez les nouveaux rapports humains ? Un monde de talkies walkies, anatomiquement très performants ?
-Cela porte déjà un nom,
-Madame Maboul, la femme du docteur ?
-On parle de Cyborg, sorte d’être parfait, un hybride fait de prothèses artificielles lui permettant de dépasser les limites physiologiques avec des connections satellites partout.
-Ce qu’elle a de parfait, c’est le fait de ne pas exister encore, crois-moi !
-Tu as raison sur ce point. Il ne nous manque plus que le cobaye, me dit-il en me regardant avec les yeux concupiscents de l’amour.
-Laisse tomber…Regarde plutôt tes pieds, on dirait qu’ils vont toujours dans deux directions différentes !

Ainsi regarder Andrew faire sa valise est en soi un véritable spectacle interactif à lui tout seul.
Un élan de solidarité familial vient porter assistance autour de son paquetage. Le temps dominical se dissout au fur et à mesure que se remplit la valise. Peter l’anthropologue parlerait de rite primaire qui entretient la cohésion au sein de la tribu. Moi, je dis que dans l’organisation basique des affaires courantes de la maison, je lui suis non seulement supérieure, mais j’use d’une discrétion machiavélique afin de ne jamais froisser son sens de la domination illusoire de terrain. Plus encore, si j’avais par exemple, l’infinie bonté de recoudre le bouton de manchette, écarté dans la poche depuis des semaines, je m’approcherais très sérieusement de l’Idéal féminin. Il faut voir Andrew déambuler dans les couloirs, résolu à traiter de manière scientifique le choix des différentes vestes à emporter. Il hésite comme si nous étions à la veille d’un investissement boursier, me sommant de trancher avec lui entre Hugo Boss et Pal Zileri, ignominieusement rangés à la mauvaise place. J’aime la façon dont nous partageons notre sens de l' Histoire. Complicité primaire ou équipe de choc, j’hésite vraiment entre les deux formules. Pourrait-il me faire croire que la réussite de son intervention auprès de MT Sound ne tiendrait qu’à un simple bouton recousu. J’adorerais le croire.
20H. Le sablier s’inverse. La raréfaction de l’air se fait oppressante.
La valise est cette fois bien fermée.







1.14 Birds songs in the Indian Forest 



-Que personne ne bouge, chuchote Bombyx en bandant son arc. La brosse magique est pour moi…
Un craquement de branche fait malheureusement fuir l’oiseau dans la fange noirâtre de la forêt tropicale.
-Encore raté!
Trois jours que les Byblis marchent sans grande logique dans la forêt pour mettre la main sur cette bête de malheur : le fameux « Berlepsch à six fils ».
Cinq fois qu’il leur a échappé et ça rend le chef de mauvaise humeur. A en croire la prétendue légende, ce sont surtout les six plumes qui rendent l’oiseau attrayant. Il n’y a qu’à constater la horde de femelles prises malgré elles dans le lasso que forment ses longues antennes. Il est vrai que la misérable pelote reste parfois coincée à une liane à force de faire le fier. Et il est tout aussi vrai que le chef est prêt à se persuader de n’importe quelle sottise pourvu que cela lui rende son pouvoir érectile de jeune garçon.
Bombyx pense à son cochon, pense à la belle Venus, pense à Darling’ qui engraisse le cochon pour pouvoir prétendre à Venus, elle-même engraissée par d’autres cochons. La lassitude gagne les hommes. Le chef prie les esprits avec componction. Il a raison de faire profil bas. Ca sent l’embrouille, ici. Mousse et fougères recouvrent le chemin comme un faux plancher trahissant parfois de redoutables cavernes aériennes. Chaque pas peut se révéler tragique et il est fréquent que la nature rappelle dans ses entrailles un des gars de l’équipe. Juste comme ça. Pour montrer qui est le plus fort. C’est ainsi. La loi des esprits n’est pas celle des hommes.
-Dites chef, faudra être prêt à partager, surtout que y a que six fils… ose un jeune Byblis avec ingéniosité.
-Nous en ferons une couronne et nous simulerons l’oiseau qui marche tout puissant en quête de sa femelle. On peut répéter la chorégraphie, les gars, ça nous mettra en condition…
-Tous en rond autour du chef pour l’aider à se concentrer !
-Et passez-moi ma parure noire, on va essayer avec celle-là. Elle m’a portée chance la dernière fois qu’on cherchait un Toucan. C’était pas gagné non plus! .
Une nouvelle veillée se prépare. L’occasion pour le chef de rappeler les prophéties qui seront encore du meilleur effet ce soir. Dans l’environnement touffu et moite où le silence n’existe pas, les caquètements lancinants et les incessants gazouillis favorisent l’imagination galopante.
-Est-ce que je vous ai déjà raconté l’histoire du premier ancêtre Papou qui s’était réincarné en oiseau ?… Il pensait même se métamorphoser en calao ou en toucan ou en martin pêcheur, je ne sais plus, tiens…
-Pourquoi dit-on toujours au chef qu’on ne connaît pas ses histoires alors qu’on les connaît par coeur ?
-Parce que c’est le chef et que lui seul sait mieux que quiconque l’histoire du jour à entendre.
La bruine tropicale se met à suinter doucement. Elle transforme comme des chrysalides de verre, chaque Byblis enroulé dans sa couverture tressée de feuilles de sagoutier. Il est temps de se livrer à l’enveloppe obscure de la nuit, de rêver peut-être, aux retrouvailles, au confort du village, aux couples, aux cochons noirs, à la lumière qui respire contre son coeur.








1.15 Silence and I, Alan Parson Project




  
-Bienvenue à Londres, Mademoiselle !
-Comme il est bon de revenir à la maison, dit Melancoly la voix ensommeillée.
-Mademoiselle a-t-elle passé un bon séjour à Las Vegas ?
-Du monde, de la chaleur, des autographes… J’ai défié le jetlag avec une mosaïque de pilules. Résultat Paul, vous serez bon pour me porter dans vos bras jusqu’au perron de la porte.
-Comme vous l’entendrez, Mademoiselle.
-Ne vous réjouissez pas trop vite, j’ai ma fourrure sur le dos. Je pèse une tonne !
-Un chauffeur doit faire face à toute situation, lance Paul un sourire en coin.
-S’il ne faisait pas aussi noir et si je n’étais pas aussi fatiguée, je croirais que vous me faîtes la cour.
-C’est interdit par le règlement, Mademoiselle !
-Roulez moins vite, s’il vous plaît… J’aime traverser Londres aux aurores.
-Comme il vous plaira.
-Paul, pouvez-vous mettre Serendip’, s’il vous plaît. Les périodes de concert ont tendance à me couper du monde ! Je veux connaître de quoi le monde sera fait dans deux heures … avant qu’un abruti de journaliste ne me demande ce que j’en pense !
-Très bien, voici… :
-Chers auditeurs, Serendip’ souhaite bien le bonjour aux super lève-tôt !…Après son terrible accident de voiture, survenu il y a un près d’an, Paris Hilton n’est décidément plus la même. Elle a déclaré qu’après son expérience miraculeuse de EMI (expérience de mort imminente), elle souhaiterait choisir une vie radicalement opposée à celle de la jet-setteuse volage et futile qu’on connaissait auparavant. « Je désire avant tout faire profiter les démunis et en particulier les sans-abri de New York » a déclaré la milliardaire.. On a donc vu hier défiler une queue de cent cinquante clochards, investissant dans la plus grande dignité, le très chic NY Hilton Hôtel de Mid Town Manhattan. On ne sait pas combien de temps les nouveaux locataires de l’Avenue des Amériques vont rester ni comment un tel lieu peut-il devenir une structure d’accueil !
-J’en connais plus d’un qui aimerait qu’elle retombe sur la tête pour mettre fin à ce revirement de moralité. Je trouve cela très courageux de sa part… dit tout bas Melancoly, à moitié allongée sur le siège. Rappelez-moi, Paul, que je dois lui passer un coup de fil la semaine prochaine.
-C’est noté, Mademoiselle.
-Enfin, après les Tamagotchis et les Congaptuchs, arrivent les Minipls. A première vue, on dirait un mini cactus synthétique dans une cloche en plastique mais il s’agit bien de plantes vivantes qu’on accroche au mobile ou au porte-clefs. Selon les asiatiques, la mini plante symbolise la gloire, le courage ou encore la chance ! … On a littéralement dévalisé pour la troisième fois le parc du siège de Compagnie Exodus avec la distribution de petits galets fluorescents. On rappelle qu’ils sont répandus sur la pelouse toutes les quinzaines et remportent un vif intérêt auprès des jeunes. Ce grand succès populaire contribue même à faire augmenter son cours à la bourse… Pari gagné donc pour cette initiative artistique à l’origine d’un jeune artiste belge !
-Nous sommes arrivés, Mademoiselle.
Mélancolie s’est assoupie comme une enfant. Elle desserre entre ses doigts gantés un objet blanc laqué que Paul glisse délicatement dans son sac. Il l’enveloppe dans ses bras et la hisse jusque dans ses appartements sans faire de bruit. Il y a quelques heures à peine, c’était plus de cent mille personnes qui la portaient aux nues, elle était alors libérée de toute apesanteur.
-Sacré petite bonne femme ! se dit-il en tirant les rideaux délicatement pour refermer un peu de nuit sur elle.




***



5H30. Le chauffeur de la compagnie attend déjà en bas dans la rue.
-Il faut partir, Monsieur Aarcher. Le trafic va se charger.
A cette heure du jour, le protocolaire l’emporte sur l’âpreté des sentiments. L’obscurité du matin met le voile sur notre confusion. Un léger coup de klaxon oblitère finalement son départ. Et puis plus rien. Du silence. De l’aube.
6H30. J’essaie de me rendormir toute habillée me déroulant dans le lit comme un fakir sur ses clous.
6H45. Je devrais m’assurer du réveil de Candice mais je replonge, c’est trop dur.
7H11. J’ai des doutes. Zéro indice. Pas de bruit de chasse d’eau en fond de couloir.
7H11. Branle bas de combat. C’est Pearl Harbour dans la chambre de Candice qui s’était rendormie, le réveil à la main.
7H32. Navette incessante jusqu’à la cafetière. Dans son coin, Serendip’ raconte en boucle des histoires de « plantes vivantes en capsule ». Les corn flakes renouent avec la voltige, les taches de jus de fruits maculent joyeusement la nappe.
7H50 . Conduites de classe. On me souhaite une bonne journée. Le calme revient. Avec lui, ce vide massif qui tombe sourdement, juste derrière.

De retour à la maison, je préfère ne pas m’appesantir sur le compte à rebours qu’une porte refermée vient d'engrener. Il est formellement interdit de songer à la violence prodigieuse de dix mille litres de gros bouillons de kérosène face à une petite minuscule étincelle joyeuse. 8H07, 8H08, 8H09, 8H10…Bang !
Non, selon un pacte positif pré-établi, chacun prendra son rôle à la lettre :
-Maman, je suis l’enfant chéri et je dois…
Vomir, réviser, manger, m’habiller, téléphoner.
Et toi, ma maman dévouée, tu dois…
Me nourrir, m’éduquer, me conduire, m’aider et me chérir.
J’ai vite appris à me vernir d’autosuggestions basiques ou encore à m’acquitter du rituel huilé de menus travaux domestiques. Appris à me maintenir dans une sorte de coma artificiel pour mieux soigner la vilaine brûlure de l’Absence. Tout ira vite. A peine un cycle de conduites de classe et quelques tambours de machines, essorage rapide, séchage de larmes garanti délicat et je retrouverai Andrew, ses bras, son parfum, l’arc en ciel de ses pieds.
Son être tout entier.

***
On sonne.
-C’est Indiana Jones ! dit la porte encore fermée.
-Mot de passe s’il vous plait ?
-Bonjour gaîté. Au revoir tristesse. Ca vous va ?.
-Salut Peter, où as-tu eu l’info ?
-La limousine de chez M.T.Sound a fait tourner son moteur aux aurores. Tu sais comme j’ai l’oreille sensible, déformation professionnelle oblige.
-Alors tu conclus juste, le sauvage. Suis relativement seule.
-Je reviens d’Afrique. Je voulais te saluer avant de repartir… et comme la lumière de ton atelier est souvent allumée en ce moment…
-Tu m’espionnes ? dis-je en pensant au masque d’argile rouge appliqué pas plus tard que la veille.
-Je t’admire, c’est différent.
-Bon, docteur, où en es-tu de tes recherches sur la condition humaine ? Quelle est ta nouvelle destination de voyage ?
-Je quitte Londres dans une semaine pour la région du Haut Sépik.
-Pas besoin d’être aussi précis, Peter. Dis-moi le continent et ça me donnera une vague idée de l’endroit.
-Vois-tu la très grosse motte de terre face à l’Australie ? C’est la Terre de la Papouasie, coupée en deux par un fil à beurre depuis l’indépendance de l’Indonésie. Les pieds dans l’eau, c’est un paradis, mais dans les terres, commence l’enfer! Une entreprise privée m’a demandé d’observer les indigènes et de faire le point sur l’influence qu’exercent les multinationales sur leurs conditions de vie.
-Ne peut-on pas les laisser tranquilles, dis-je avec le même ton affligé que la voisine au sujet de ses plates bandes fraîchement plantées.
-Il faut les sensibiliser très progressivement à la menace que représente notre civilisation et créer des sas de transition si on ne veut pas qu’une bande de cinglés ne les extermine sous prétexte qu’il y a du pétrole ou je ne sais quel haricot magique qui pousserait sous leurs pieds. Cela passe par des missions d’observation sur place, des cellules d’introduction à l’apprentissage d’une langue commune pour les générations à venir. La tâche est immense.
-Cela fera-t-il de toi un voisin absent pour longtemps, dis-je égoïstement, sans oser le regarder ?
Il saisit mes bras et m’emmène hors de mon atelier.
-Je pars le temps qu’il me faudra pour te trouver un autre cadeau, voisine. Prends déjà celui-ci.
-Des miles dans un cornet ? Trop gentil mais je vais les user à force de les regarder.
-Arrête de minauder, regarde donc.
-Du jarret d’antilope pour ce midi ?
D’une boule de journaux jaunis, il sort une silhouette torturée de pointes.
-Voici ce petit cadeau, un souvenir de mon dernier voyage : une Poupée de fécondité. Avec des plumes de tricoglosses et harmonieusement auréolée de clous rouillés sur le corps.
-Ai-je passé commande d’un quelconque soutien à un quelconque projet parental lorsque j’ai jeté mes vieux pots de lait premier âge dans la poubelle à conserves, Peter ?
-Elle a été désenvoûtée par la sorcière du village.
-Désenvoûtée ?
-Débranchée si tu préfères.
-Comme elle est jolie avec sa petite robe en peau de… En peau de quoi, Peter ?
-Je ne préfère pas te le dire, ton petit déjeuner n’est pas loin…
-En parlant de poupées, déviais-je de tout go… Où en es-tu dans tes amours ?
-Pas le temps, Betty. Tant que les femmes seront dans mes bocaux de laboratoire… Je ne les trouverais pas aussi désirables que toi.
-Votre cours d’anthropologie sociale est à dix heures. Il est temps de partir, Monsieur.
-D’ou ça venait, cette voix chimique?
-De la fonction réveil de mon portable.
-Est-ce que tu emmènes cette fille lors de tes déplacements ?
-Il m’arrive de voir des bushmen avec un portable aussi. Cela fait partie de l’évolution inéluctable du monde actuel, Betty… Il n’existe quasiment plus de zone épargnée par la communication de type portable. Je dis bien quasiment …
-Je comprends maintenant que les babouins du Zoo m’aient volé le mien… Cette chose ressemble trop à une banane. Moi j’affirme qu’il va finir par prendre le relais à notre inconscient collectif …
-Heu… quoi, la banane ?
-Oui, la banane. Ecoute moi, l’ethnologue. Que penses- tu de cette théorie : l’homme a fait un immense bond en arrière. Il a copié le singe avec ce quelque chose dans la main qu’on dépiaute avec ruse et gourmandise .
-La banane ?
-Non, le portable !
-Tout va bien Betty ?
-Logique! Arrêtez vos recherches messieurs. Voilà, j’ai trouvé le lien !
-Une demi heure vous sépare de votre cours, Monsieur. 
-Encore elle ! Ne tombe pas amoureux d’elle, cette voix n’a pas beaucoup de conversation.
-Désolé, Betty. Je dois me rendre à Oxford pour retrouver mes étudiants.
-Etudiantes, tu veux dire, on n’a pas idée d’être aussi séduisant que toi…
-Je suis myope comme une taupe.
-Allez, donne-moi donc cette Betty Boop à clous que je lui trouve une petite place.
-Je file.
-Réfléchis à la théorie de la banane sacralisée.
-Au lieu de dire des bêtises, regarde plutôt la note du vendeur. Je te l’ai fait traduire pour les jours de doute. Elle encourage à la FECONDITE :
Sens 1. Aptitude à produire beaucoup. Fertilité, Abondance.
Sens 2. Aptitude d’un être vivant à se reproduire. 








 1.16  Harry Potter, Hedwig’s Theme


Impossible de remettre la main dessus.
Si jamais cette chose devait servir de pièce à conviction pour un crime crapuleux, je te prends à témoin : elle-n-est-plus-chez-nous ! Je viens de faire passer un interrogatoire auprès de chaque enfant. Je les soupçonne d’avoir emmené la chose, nommée la Chose, pour faire une mauvaise farce à un camarade de classe, avec quantité d’arguments recevables.





Cette Chose est une amulette, un talisman en langage ethno-méthodologique, un grigri pour oreilles incultes. Et pour tout avouer, bien que parée de très jolies plumes d’oiseaux de paradis, elle souffre d’une laideur absolument totalement réellement désobligeante.
-QUI DONC a osé jouer avec le grigri de Peter, dis-je une dernière fois avec ma voix de bouledogue des grands jours ? Elle est d’une grande valeur sentimentale à mes yeux, rajoutè-je peu convaincante.
Sans résultat au bout de plusieurs jours d’enquête, j’en ai conclu que la Chose était tellement chargée de mystère, qu’elle s’était dotée de jambes durant la nuit et qu’elle était repartie de là d’où elle venait ! Du pays mystérieux des Choses qui traversent une fois votre vie et qui vous font douter de votre vue et de vos ressources mentales. Car cette relique moribonde avait quelque chose de réellement fascinant. Elle brillait la nuit. D’un éclat totalement particulier. On aurait dit qu’elle était faite de petites lucioles de pierre. Elle recélait la lumière qu’elle semblait avoir emmagasiné la journée dans une sorte respiration immuable. J’ai eu envie d’en faire une petite veilleuse d’appoint dans le couloir des enfants jusqu’à ce que je surprenne Alice ramper pour éviter de passer devant la Chose, objectivement monstrueuse à souhait.
-Dis maman, on dirait qu’on lui a jeté un sort. Pourquoi est-ce si beau la nuit et si vilain la journée ?
-Les belles choses ne sont pas toujours visibles à l’oeil, la beauté vient du coeur, pas de ce à quoi on ressemble.
-C’est une phrase pompée dans Quasimodo, hein ?
-Du petit prince de Saint Exupéry, mais cette histoire est universelle, tu sais !
-Mais la Chose est un vrai porte-bonheur, maman, un vrai ?
-Il paraît.
-Alors ce bidule sera très bien sur ton étagère, à veiller sur toi.
Un peu plus tard, à l’écart de nos pensées positives, Andrew, aussi vertical que les lignes de ses costumes, avait contre toute attente montré un intérêt inattendu pour le pendentif brillant.
-On dirait que ça vit, là-dedans. Un poumon pourrait bien respirer de la lumière.
-Quelle poésie !
-Je ne serais pas étonné que cet embrouillamini de cochonneries ficelées contienne des morceaux de récupération de toutes sortes. Il doit y avoir des bouts de verre fluorescent ramassés dans une décharge… Même sur l’Everest, on retrouve une tonne de déchets par an. Mais je ne mettrai pas ma main là-dedans pour comprendre de quoi est fait exactement le petit cadeau du voisin !
Et voilà comment la magie était vite retombée. Un consensus familial nous avait amené à retirer la Chose du palier pour la reléguer à une place d’honneur dans mon atelier de bricolage. Mon étagère à maquettes s’était transformée petit à petit en boutique des horreurs où se côtoyaient joyeusement depuis ma relation amicale avec l’ethnologie, quelques masques colériques, un harpon rouillé, des bijoux atypiques et une gourde en peau de chamelle.

***
C’est ainsi donc qu’aujourd’hui, ma nouvelle poupée de fécondité prend la place de l’amulette disparue et j’en suis toute soulagée. Que disait-elle déjà ? FECONDITE : Aptitude à produire beaucoup.
Peter a bien raison sur un point.
Peu de choses me résistent en matière de production. Demain, je déclarerai ouvertes « les olympiades du meuble en contreplaqué » pour deux jours chrono, dans un concert de bruits goguenards, dans un paradis de sciure rempli de manoeuvres épuisantes jusqu’à l’abrutissement.
On admirera ici une combinaison tête-jambes parfaite. Une sorte de culbutos roulant en vrille, pour éviter l’immobilisme. C’est décidé, je vais fabriquer une nouvelle table basse pour le salon plutôt que d’aller la payer dans le commerce dix fois le prix, et contribuer humblement à augmenter le PIB national. Et s’il me reste quelques chutes de bois, je me ferais bien, en dessert, une petite cabane à oiseaux expérimentale pour faire entrer un peu de vie dans mon opiniâtre réflexion sur l’habitat primitif.
Coté tête, j’écouterai Serendip’ news. Nourrirai mes oreilles d’un tas d’anecdotes improbables, qu’on recrache comme des noyaux de cerise avec l’ingéniosité d’une robe en lycra moulante. M’informerai du cours du Footsie. Découvrirai, en rappel à ma perceuse, le trekking dernier cri pour une poignée de dirigeants fortunés. M’enduirai d’adresses branchées dont se complaît le microcosme londonien. Prendrai rendez-vous avec Madame-le-président-directeur-général qui me fera envie dans son évocation du monde des affaires. Enfilerai sa casaque Armani sur un trône en vachette souple au sommet d’une tour de verre…. pour heureusement me taper le doigt avec le marteau, plus court moyen de réintégrer ma réalité poussiéreuse.
Et côté jambes, je préparerai donc mon chantier d’ouvrière kolkhozienne, avec l’équipement de choc spécialement acheminé de Vénus :
L’établi neuf, offert par Andrew pour mon anniversaire de mariage,
Le kit perceuse sans fil, offert pour mon anniversaire… par moi-même,
La scie sauteuse dite spéciale petit gabarit, offerte encore pour… mon Noël.
Sans parler des équerres à paillettes, des pinceaux en poil de martre, du fil à plomb rose fille… pour les petits extras du calendrier.
Allez, on se concentre pour l’ordre du jour, chérie.
De la colle à bois, une mèche neuve de 4 millètres pour les vis inox, 2 solins de 40 cm d’épaisseur à débiter équitablement.
La routine.




 

 

 

1.17      Yellow Submarine , les Beatles

Chers auditeurs… Nous sommes aujourd’hui le 19 septembre!
Mesdames, Messieurs, préférez le Yellow Submarine et laissez vos parapluies, ils ne feront pas l’affaire… Avis de bourrasque sur la capitale londonienne. On annonce de très fortes précipitations pour la fin de la semaine… Nouvelles religieuses maintenant, avec la God’s Hot Line : Qui pouvait penser qu'une ligne téléphonique « directe avec Dieu » pouvait fonctionner? Et bien, Johan van der Dong, un artiste néerlandais, a mis en place la messagerie vocale de Dieu afin que chacun d’entre nous raconte ce qu’ il a sur le cœur, dès qu’il en a envie… Passons à une nouvelle plus terre à terre… pour la première fois, on a décerné « le Fer à repasser d’Or » à un jeune homme qui a brillamment concouru parmi une sélection nationale. L’heureux lauréat a qualifié l’épreuve d’ « ardue »…
Un homme ?
Au repassage ? Rien ne va plus ! Le réchauffement climatique fait-il fondre aussi l’ourlet de nos étendards ? Je vais inscrire Andrew au concours de l’année prochaine. Ca va l’occuper et au moins, il ne sera pas loin du fer.
-Nous revenons sur le succès immense de la chanteuse britannique Melancoly Rolyat. Les fans n’ont pas été déçus, car c’est au beau milieu du Grand canyon qu’elle leur a livré ses dernières chansons au cours d’un concert qui a réuni plus de cinquante mille personnes…On la croyait fatiguée, déprimée, victime d’addictions ou encore anorexique. Toutes les rumeurs ont couru à son sujet, mais c’est en grande professionnelle qu’elle a réalisé cette prouesse physique à 1200 mètres d’altitude... 

Comme j’aimerais qu’on se soucie de mes états d’âme, à moi aussi.
Imaginez Sérendip’news en direct chez Aarcher :
-5, 4, 3, 2, 1. A vous :
-Betty Aarcher semble fatiguée ce soir … Oyez,Oyez. Qu’on lui apporte des cookies frais au gingembre de chez Harrods et un coussin en satin pour son dos fragile. Avec un demi-sucre dans son thé au jasmin, s’il vous plaît.
Toujours fidèle au poste, Maman ne rompt ni ne ploie. Pour ses travaux envers ses sujets, elle mérite qu’on la chouchoute à tout égard.
Fin du communiqué familial.








1.18 Cerf Volant, les Choristes

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Cher grimoire,
Ce soir, Cooper m’a extrait des profondeurs de son cartable, entre une peau de banane fossilisée et dix mouchoirs entamés, un formulaire à remplir :
Il s’agit de la FICHE SANITAIRE consignée dans une pochette plastique. Elle vous retrace les antécédents de l’enfant, préjugeant à ce jour notre accord aveugle pour une hypothétique INTERVENTION CHIRURGICALE dans une ambiance gore, tout gyrophare dehors, ambulance brûlant les feux rouges et du sang de boeuf partout qui ne part pas au lavage. A cette occasion, nous avons l’obligeance de confirmer l’exactitude des données concernant les parents du petit malheureux sur le brancard :
Leur ADRESSE.
Leurs NUMEROS DE TELEPHONE.
Et tiens, même leurs PROFESSIONS.
Et là, çà a coincé.
Même si l’astérisque nous assure qu’il ne s’agit là de satisfaire à d'ingénues données statistiques, la mine a ripé : j’ai mis « Agent Secret » dans la case du père, pour faire radioactif et avoir la paix l’année prochaine. J’ai mis « rien » dans la case de l’épouse car je ne voulais pas passer pour l’idiote de service en servant de couverture au premier. Je ne me suis pas résolue à mettre « mère au foyer » comme si je ne supportais plus l’odeur de cochon brûlé de cette inscription marquée au fer rouge à même l’épaule. J’enrageais de ne pouvoir développer mes anciens états de service :
-Penser la pierre, chers éducateurs, il fut un temps où… .
-Dites-nous tout, chère Madame, mais jurez de dire la vérité. Rien que la vérité !
-Et bien voilà… Je m’accorde une pause dans ma vie de Femme. Mais s’il faut prouver l’authenticité de mon diplôme, les autorités supérieures peuvent toujours me demander un bon petit croquis à main levée…comme une réaffectation de salle des professeurs, un déplacement de friteuse au réfectoire. Fastoche, je devrais être encore capable de le projeter.
Non, impossible de caser ce roman à l’eau de rose sur le bord du formulaire. Doux Jésus qu’il a été dur de passer aux aveux.
« N’habite plus le poste indiqué », « Retour à l’expéditeur » fallait-il que je conclus en bas de la page ? J’ai fini par me rendre en ôtant le bas noir qui m’aplatissait le nez..
Alors il y a eu cet inévitable mouvement de rotation qui m’a fait échouer sur la case mutilante du « SANS ». Je veux dire SANS profession.
SANS bras, SANS jambes, SANS tête, juste une masse informe, façon Madame Patate, assujettie aux conduites, aux devoirs, grande prêtresse de la machine à laver et Imam du pain perdu.
Allez, grimoire, je plaisante. Il est tard.
Je m’en vais griffonner en bas de la page, une de ces petites mélopées de la vie, qui n’engagent que moi dans la rigole abyssale de mon cahier !

Mère au foyer, foyer ardent, dent de lapin, peinture de guerre, guerre des boutons, thon à l’huile, huile d’olive, vive les hommes, homme à la mer…Mère au foyer, foyer ardent, dent de lapin, peinture de guerre, cerf volant, volant, volant…ne t’arrête pas…
Et tralalère.









                                                                                                                A SUIVRE...